Recensions 7

SÉSAME ASBL - Société, spiritualité, éthique, santé mentale

Marie-Jo Thiel (dir), La santé augmentée. Réalisme ou totalitarisme ?, Montrouge, Bayard, 2014, dans Revue théologique de Louvain, n°4, 2015, p. 635-636.


La question de l’augmentation de l’humain (enhancement), de sa santé est à l’ordre du jour et n’est pas sans poser question à l’éthicien et au théologien. On pourrait, à minima, ouvrir quatre types d’interrogations ayant trait à la capacité humaine de maintenir un certain espace de liberté face à l’engouement toujours possible face à des techniques ou des médications prometteuses en termes de restauration de l’existence. Tout d’abord, il importe de garder le souci de l’unité du sujet dans son lien corps-esprit, tout en soulignant l’importance des nouveautés thérapeutiques et en sachant distinguer ce qui relève effectivement de la véritable thérapeutique ou du souci d’amélioration de l’humain : s’agit-il de traiter les signes de la maladie, l’inconfort vécu par le patient, son entourage, ou l’image qu’il a de lui-même ? Une autre dimension est celle de la justice distributive dans la hiérarchisation des projets thérapeutiques : faut-il tout traiter, à n’importe quel prix si le coût du développement de techniques de pointe ampute le budget disponible pour des traitements plus ordinaires ? Une troisième interrogation est inhérente à la signification même de l’amélioration : que signifie rendre un humain meilleur, pour quelles dimensions de son existence, pour lui-même ou son entourage ? Enfin, et ce n’est pas le moindre défi, il s’agit de toujours s’interroger sur l’image de l’humain qu’on est en train de construire et son impact sur les générations futures : que signifie être un homme, une femme « normal » ? Quel est le mandat social de la médecine pour restaurer un humain à l’image -l’idole- qui lui corresponde ? C’est cet ensemble de questions que ce livre de M.-J. Thiel nous permet de considérer par la large contextualisation qu’elle nous propose, que ce soit dans les repères cliniques, éthiques ou théologiques. Comme elle en a pris l’habitude ces derniers temps, à côté d’ouvrage de recherche plus fondamentale, cette auteure propose des contributions à destination d’un plus large public, posant les questions de fond : comment rencontrer la fragilité, au cœur de quelle médecine, aujourd’hui et demain ?


Anne-Marie Saunal, Des vies restaurées. Quand l’Évangile visite la psyché. Préface de Véronique Margron, Paris, cerf, 2014, dans Revue théologique de Louvain, n°4, 2015, p. 638-639.


Un livre passionnant dont le sous-titre aurait pu être : que se passe-t-il en l’homme et en Dieu lorsqu’il s’agit de rencontrer mutuellement la vie blessée ? Psychanalyste et psychologue, A.-M. Saunal fait vivre des récits bibliques à travers lesquels elle propose une approche spirituelle de l’humain, inscrite, au niveau de l’expérience, dans ses dimensions psychiques et croyantes : fils prodigue, femme adultère, sourd bègue, aveugle-né, possédé, Judas, Marie-Madeleine. L’originalité est de faire vivre ces textes à plusieurs niveaux : ce qui se passe dans la rencontre d’un point de vue humain, psychanalytique, croyant, tout en même temps qu’elle éclaire sa pensée de l’apport de nombreux spirituels et théologiens de la tradition chrétienne. Les différents pans de l’existence ne peuvent être dissociés dans l’expérience subjective, particulièrement lorsqu’elle est confrontée à l’épreuve, à la souffrance.


À travers ce qu’éprouvent et vivent les différents personnages considérés, l’approche morale du récit se trouve déplacée : elle n’est plus l’enjeu principal de l’analyse, mais bien ce qui sous-tend l’action, au niveau de l’intériorité et de l’histoire individuelle et familiale du sujet : comment mieux me comprendre pour saisir ce qui m’advient et ce que je fais ou pas ? Chaque récit, mis en parallèle avec des situations de patients en analyse, montre son actualité : comment la Bible, tout en parlant d’un Dieu proche et restaurateur en Jésus, met en scène des catégories universelles de compréhension de l’existence, s’ouvrant de la sorte à un auditoire bien plus large que les seuls croyants ? Le théologien sera sensible à ce que l’analyse du vécu intérieur des personnages -et de Jésus lui-même- ouvre à l’actualité de la rencontre de l’humain fragile et de Dieu où, tous deux en la personne de Jésus, se trouvent affectés et, pour un part, grandis. On notera également, à travers la majorité des récits analysés, toute l’importance accordée au corps inscrit dans une histoire personnelle, psychique et familiale, corps devenant un lieu théologique dans la rencontre du Christ ; une belle cohérence avec l’incarnation.


Marc Desmet, Vivre la gestion hospitalière. Une question spirituelle ?, Bruxelles, Lumen vitae, 2015, dans Revue théologique de Louvain, n°1, 2016, p. 129-130.


Prenant résolument acte des nouvelles questions et lieux traitant du spirituel, ce dernier numéro de la collection nous ouvre à un double monde : celui de la gestion hospitalière et celui de l’exercice concret du soin. La parole est d’abord donnée à un gestionnaire – Olivier Joël de la Fondation des Diaconesses de Reuilly – offrant son point de vue sur le parcours proposé par l’auteur ; initiative intéressante de la collection que de se faire parler des mondes considérés habituellement comme trop séparés et pourtant généralement habités d’une même visée, celle de bien faire.


L’ouvrage comporte deux parties. La première offre une compréhension originale de la structuration et de l’organisation de l’hôpital autour de quatre pôles : la communauté, le contrôle, le care et le cure. L’auteur montre comment chacun de ces pôles se trouve porté par des principes d’organisation différents, renvoyant à des modes d’actions spécifiques (vue d’ensemble, maîtrise, coordination, intervention). Dans le souci de rendre simple une organisation complexe et grâce à de nombreux moyens mnémotechniques, M. Desmet propose une meilleure compréhension de ce qu’est l’hôpital contemporain. Enjeux éthique essentiel de comprendre, que ce soit de l’extérieur mais plus radicalement encore pour un ensemble d’acteurs si différents au service du malade, de près ou de loin ! La deuxième partie, dans une sensibilité toute ignacienne, offre « 8 chaînons manquants », c’est-à-dire huit questions à se réapproprier sans cesse lorsque, d’une manière ou l’autre, le soignant vit ce décalage de plus en plus structurant entre son désir de présence au plus souffrant et les contraintes d’une organisation complexe. L’auteur, optimiste de nature, permet de la sorte à restaurer ce qu’il nomme volontiers un amour du travail.


Ce livre, s’il n’est pas d’abord destiné aux gestionnaires avides de bilans et de chiffres, les éclairera cependant sur ce monde pour lequel ils exercent des responsabilités toujours de plus en plus lourdes, celui du soin, de ses motivations et, peut-être, de ses attentes en termes de reconnaissance. Il ressourcera les professionnels interrogatifs sur le sens de leur travail en leur offrant quelques clés interprétatives manifestement spirituelles, s’il est bien question de sens et d’amour du travail.

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