Recensions 6

SÉSAME ASBL - Société, spiritualité, éthique, santé mentale

Guy Jobin G., Jean-Marc Charron, Michel Nyabenda (éds), Spiritualités et biomédecine, enjeux d’une intégration, Laval, Presses de l’Université Laval, 2013, dans Revue d’éthique et de théologie morale, n°282, 2014, p. 125-127


Depuis quelques années, la Chaire Religion, spiritualité et santé de l’Université Laval nous livre ses réflexions relatives à l’évolution « du spirituel » au cœur de la société québécoise. Ici, c’est au cœur de la médecine et des pratiques soignantes que le lecteur se trouve convié afin de réfléchir, avec un panel d’auteurs, à l’intérêt, mais aussi aux limites, de cette sollicitation « du spirituel » au cœur de la médecine contemporaine. A travers trois parties, épistémologique, organisationnelle et clinique, les différentes contributions déclinent ce que signifie l’apport du spirituel au cœur d’une médecine qui le sollicite de plus en plus, jusqu’à considérer une certaine esthétisation de la problématique sanitaire et spirituelle. A l’image d’autres institutions hospitalières -pensons ici au CHU de Lausanne-, une professionnalisation du spirituel se dessine, apportant ses méthodes quantitatives et qualitatives, attestant que la « bonne volonté » des acteurs ne peut plus se suffire à elle-même dans ce monde du soin technique et performant, dans une société de plus en plus sécularisée. Mais le risque se dessine tout autant de voir « le spirituel » appréhendé de plus en plus à distance de l’existence singulière des personnes lorsque ce dernier, pour être « vrai », c’’est-à-dire reconnu, cadré et pris en compte, se doit de passer à travers le prisme de ce que le milieu médical reconnaîtra comme véritable prise en charge.


Même si les conditions d’hospitalisation ont évidemment changés ces dernières années, particulièrement en ce qui concerne les durées de séjour, l’assistance spirituelle est un droit garanti, même s’il se trouve mis en œuvre de manière diverses, personnes-dépendant que ce soit du côté de l’administration ou des responsables du culte ; il repose sur un principe fondamental, celui de la liberté religieuse dans un état laïque. La référence à cette double dimension -droit et respect de l’Etat laïque- implique des devoirs de la part des institutions hospitalières, tout comme de la part des aumôneries tenues à respecter certaines limites. La partie clinique du recueil offre des exemples assez significatifs, même s’ils s’inscrivent dans des expériences singulières, locales. En ce qui concerne les structures hospitalières, on notera également l’intéressant questionnement ouvert à propos des professionnels de la santé : quelle est leur responsabilité, et selon quelles limites au regard des aumôneries, en ce qui concerne cette dimension religieuse de l’existence considérée comme un droit relevant de la liberté de tout patient en lien avec son entourage ?


Ce recueil de contributions ayant trait au spirituel en son lien avec la biomédecine ouvre à d’importantes questions qui dépassent largement leur lieu précis d’émergence pour questionner nos propres pratiques ; nous aimerions rendre compte de certaines nous ayant particulièrement interpelé. Tout d’abord, il est question de se demander quelle peut être de nos jours la visibilité du religieux dans l’espace public lorsqu’elle se trouve mise en tension, du moins en France, entre liberté religieuse et interdiction d’un financement public alors que l’État cherche de plus en plus à s’appuyer sur les valeurs religieuses, fussent-elles laïcisées ; qu’il suffise de penser ici aux récentes analyses de Jean-Marc Ferry et de Philippe Némo. Au regard d’une volonté de reléguer les croyances dans la sphère individuelle et privée, des interférences existent bel et bien, posant la responsabilité de l’État à l’égard du fait religieux. Un autre grand intérêt de certaines contributions est de mettre au jour les mutations traversant cette problématique. Le premier passage donnant à réfléchir est celui de la dimension cultuelle à un accompagnement spirituel, humain qui n’est plus en correspondance avec les anciennes législations, posant la question du mandat et de la rémunération des personnes. L’autre mérite encore davantage à être réfléchi : le passage d’un mandat ecclésial à un mandat civil, à l’image de ce que connaît le Québec, avec toutes les craintes qui peuvent lui être associées, celle de la perte d’un « contenu» religieux, quand ce ne sont pas des questions de pouvoir.


On l’aura compris, cet ensemble de textes donne à réfléchir sur ce que signifie de nos jours cette sollicitation du spirituel dans les milieux de soins, lorsqu’il ne semble plus convenu de pouvoir parler de religieux. Et pourtant, cet arrière-fond n’est-il pas encore à nommer dans ce que vivent bon nombre de personnes tout comme, nous semble-t-il, il n’est pas sans poser la question fondamentale, celle de la responsabilité qui incombe à l’État d’assurer la liberté de conscience, l’amenant de la sorte à ne pas se désintéresser du religieux considéré, a minima, comme un fait social.


Corinne Pelluchon, Tu ne tueras point. Réflexions sur l’actualité de l’interdit du meurtre, Paris, Cerf, 2013, dans Revue théologique de Louvain, n°2, 2015, p. 298.


Un livre de plus sur les questions de fin de vie, d’euthanasie, de demande de mort traversant les débats contemporains ? Oui et non. Oui, dans la mesure où l’ouvrage n’apporte rien de nouveau en termes de contenu discuté, non dans la perspective et l’originalité de la structuration de la pensée. En effet, si l’interdit du meurtre n’est pas nouveau, l’intérêt de cet ouvrage est de le réinscrire dans une dimension réellement séculière, non religieuse et relationnelle. Il permet dès lors de redonner une signification contemporaine, efficiente, à la notion même de transgression, dimension de l’acte de « donner la mort » que commencent, si pas de remettre à l’honneur, au moins à nommer certains professionnels pratiquant l’euthanasie. Ce livre bref, allant à l’essentiel, sera un bon outil pour penser les pratiques, particulièrement cliniques, et redonner tout son sens pratique, psychique et moral à la notion de transgression.


Marie-Jo Thiel (dir), Les enjeux éthiques du handicap, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2014, dans Revue théologique de Louvain, n°4, 2015, p. 634-635.


Cette publication, issue des 5èmes Journées internationales d’éthique de Strasbourg, porte tout l’intérêt habituel des actes de colloque dans la diversité de ses 35 contributions. L’ouvrage les a classées en cinq parties, s’efforçant de la sorte de donner une cohérence à l’ensemble. On y traite ainsi des barrières à déconstruire, que ce soit au regard de l’histoire ou des représentations contemporaines du handicap. Se pose ensuite un ensemble de questions relatives à l’intégration, l’inclusion, la reconnaissance : la diversité de ces concepts renvoie à des enjeux pratiques et éthiques sensiblement différents. La troisième partie traite des politiques du handicap auxquelles sont associées les pratiques d’évaluation, d’assurance et de compensation. Le handicap, il est surtout question de le vivre soi-même et en lien avec autrui dans des sociétés spécifiques, et dans tous les domaines de l’existence. Enfin, il n’est pas possible de considérer le handicap sans son rapport de proximité avec la médecine, en amont et au cœur de l’existence.

Laissant la parole à des acteurs de terrain, des éducateurs, des chercheurs et des cliniciens, ce livre ouvre à de nombreuses thématiques bien documentées et diversifiées en ce qui concerne leurs lieux et la réflexion critique dont elles sont généralement porteuses. On notera l’importance de l’histoire et de la compréhension des représentations sociales, la manière dont les législations les portent et les rencontrent au cœur de la société. Le vécu de la personne handicapée est largement pris en compte, en lien avec la vie professionnelle et l’entourage social et familial ; l’approche de la vie affective et sexuelle est appréhendée dans trois contributions particulièrement intéressantes. Enfin, l’approche du handicap par le soin et la médecine est largement honorée dans la dernière partie de l’ouvrage. Toutes ces thématiques ouvrent à une multiplicité de questionnements éthiques traitant de questions tout aussi actuelles que de fond : handicap et justice, vulnérabilité et honte, inclusion et exclusion, reconnaissance, capacitation individuelle et sociale, polyhandicap. Ces questions sont abordées tant sous l’angle de la réflexion critique que par le témoignage d’acteurs et d’associations inscrivant cette dernière dans le concret des pratiques. Or, rencontrer concrètement la personne porteuse d’un handicap au cœur de la société représente également une manière de les nommer. La théologie en tant que telle y est peu présente si ce n’est par la problématique de l’accès au sacrement de l’ordre par un homme porteur d’un handicap.


Cet ouvrage offre une large documentation pour connaître la situation du handicap en France, une importante bibliographie inhérente à chaque contribution. Un ouvrage à portée générale où les chercheurs et acteurs préoccupés du handicap trouveront les principales informations et questions éthiques liées au handicap.

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