Recensions 2

SÉSAME ASBL - Société, spiritualité, éthique, santé mentale

Recension de Françoise Daune, Patrick Ben Soussan (sous la dir. de), Corps en souffrance, psychismes en présence (cancer&psy(s) ), Paris, Erès, 2017, 180 p., ISBN : 978-27492-5683-2


Dans cet ouvrage collectif, sept clinicien.ne.es-psychothérapeutes prennent successivement la parole avec ce même but : réconcilier une approche psychique de la maladie grave avec le corps. Ils le font à partir de leurs lieux cliniques diversifiés, voire même leur histoire personnelle ; ce qui donne un aperçu du niveau d’engagement des réflexions partagées. Si ce livre veut d’abord s’adresser aux « psy » de tous ordres, il aide conjointement à la réflexion en ce qui concerne la sollicitation de la dimension psychique comme herméneutique de l’expérience de la maladie, au risque, parfois, de l’oubli du corps. Sans suivre nécessairement l’ordre des réflexions proposées, ce nécessaire lien vie du et en le corps-vie psychique se déploie, nous semble-t-il, dans trois registres différents, mais complémentaires dont nous aimerions rendre compte des principales intuitions des auteurs : l’accompagnement psychique de la maladie grave au cœur de la médecine contemporaine, le vécu de la personne malade, le vécu du clinicien si la maladie cancéreuse est bien également une expérience de liens interpersonnels.

Que vit la personne atteinte d’un cancer au cœur de la médecine contemporaine? Le risque est parfois grand, de nos jours, d’en faire une « maladie mentale » et de craindre d’en parler ; or tout silence empêche radicalement toute forme d’accompagnement. Ce sont toutes ces formes de déni qu’une médecine centrée principalement sur l’efficacité thérapeutique aura tendance à toujours renforcer dans un rapport au corps-objet, trop souvent dé-subjectivé de la personne qui l’habite et le porte. Cette visée d’efficacité se manifestera parfois par une « protocolisation » de la vie psychique, dans cette même visée d’un « faire » qui, ultimement, construira « un trouble » psychique, et donc une autre action possible. Mais est-ce là le mandat du thérapeute, celui d’accompagner-traiter des troubles ou de cheminer avec un sujet souffrant, psychiquement affecté dans un rapport au corps qui, toujours d’une certaine manière, le précédera comme « signe » sur sa vie, laissant place à un inattendu de la vie ? Car, si le cancer bouleverse les structures psychiques, les représentations, il s’inscrit et se donne à vivre d’abord dans un corps, contestant de la sorte tout réductionnisme psychologique. Cette première dimension de l’ouvrage est, de notre point de vue, un réel plaidoyer pour une restauration d’une clinique unitive du sujet souffrant, gravement malade.

Ce lien vie du corps-vie psychique se trouve précisé dans le livre à travers certaines situations cliniques admirablement décrites et analysées dont les auteurs vont, à de multiples reprises, dénoncer le risque d’une pathologisation psychique de l’existence qui entraînerait comme un « oubli du corps ». La question de fond est bien sûr celle de la capacité de la médecine mais également des psychothérapeutes à rencontrer un sujet malade dans la totalité de ce qui fait histoire pour lui, certes dans une dimension psychique, mais surtout au cœur d’une histoire incarnée, personnellement et en lien avec des histoires « familiales de corps » ; pensons ici à la psycho-oncologie où un corps singulier et familial devient l’espace d’une histoire incertaine. En effet, il importe, pour les auteurs, de ne pas disjoindre les soins psychiques et les soins au/du corps, soins qui engagent à un rapport différencié au temps. La problématique de la capacité ou non d’élaboration d’un malade est aussi intéressante de ce point de vue, surtout lorsqu’on l’appréhende en termes de « visée d’un bien » dans le chef de l’accompagnant : est-il possible de penser cette dimension sans son lien au corps, toujours affecté par une dimension d’histoire identifiant un sujet singulier, tant patient que clinicien ? Dans l’ouvrage, la question de l’élaboration se trouve particulièrement illustrée par l’accompagnement psychologique des adolescents confrontés à la maladie grave où c’est bien à travers un corps sexué, en devenir et porteur d’un avenir incertain qu’il est question de penser-appréhender l’existence remise en cause dans sa dimension narcissique.

Cette même articulation corps-psychisme concerne également les clinicien.ne.s au plus profond, voire au plus intime parfois, de leur pratique, sans parler nécessairement de transfert et de contre-transfert. Ceci est évident lorsqu’on s’arrête à se demander ce que signifie établir du lien avec un.e patient.e, comme si le lien, la relation pouvaient radicalement échapper à toute inscription-médiation des corps et des histoires, surtout lorsque le corps devient autre et s’intègre mal dans l’histoire d’un sujet, au point de ne plus s’y reconnaître, ni dans son corps, ni dans sa propre histoire. L’affectation possible du thérapeute est particulièrement abordée dans le chapitre relatif à l’écriture où c’est une clinicienne, ayant traversé l’histoire de sa maladie grave, qui s’engage dans l’analyse du recours à l’écrit comme médiation possible entre le psychisme et le corps, comme si l’exercice d’écriture – par la médiation de la main – permettait à la vie psychique de se resituer au regard du corps malade. C’est également par l’affectation du clinicien que se terminera la postface dont nous nous permettons d’extraire une phrase plus que significative : « … car travailler comme psychothérapeute quand la mort rôde, n’est-ce pas s’interroger sur l’essence même de notre identité et de notre fonction dans une situation qui porte à l’extrême nos engagements ? » (p. 171). Mais cela n’est-il pas vrai pour chacune et chacun d’entre nous ?

On l’aura compris, cet ouvrage est d’une belle richesse et ouvre à un parcours réflexif qui, s’il traite d’abord de la maladie grave, ouvre tout autant à la signification de la vie, du corps et du temps ; ce qui tisse le réel de chacune de nos histoires. Et, sans en faire grief aux auteurs puisque tel n’était pas leur objet, ne pourrait-on pas s’étonner d’un mot absent, celui de « spiritualité » qui, peut-être et de notre point de vue, pourrait, en termes d’expérience, assumer une certaine médiation entre la vie psychique et la vie du corps au cœur de chaque histoire singulière. Une piste que, à titre personnel, nous aimerions travailler.

unsplash