Recensions 1

Jean-Guilhem Xerri, Prenez soin de votre âme. Petit traité d’écologie intérieure, Paris, Cerf, 2018, 400 p., ISBN 978-2-204-10606-1


Médecin, auteur de nombreux ouvrages, Jean-Guilhem Xerri s’exerce ici, après avoir reçu en 2014 le prix de l’Humanisme chrétien, à un nouveau champ réflexif, celui de la spiritualité qu’il veut en articulation entre la pensée séculière – mais également la plainte de l’homme moderne – et la tradition chrétienne, en vue de proposer un « remède » à tant de souffrances psychiques touchant nos contemporains, celui de l’intériorité. À travers un langage imagé et très abordable, il y parvient plutôt bien à travers les cinq chapitres déployés s’interrogeant, d’une façon transversale, sur ce dont les hommes et les femmes d’aujourd’hui ont à être « soignés » de leur mal-être, et par qui. Manifestement, tout ne dépend pas de la médecine et de ses seuls référentiels techniques. Le livre comporte deux aspects : un théorique, ouvrant à ce qui constitue et caractérise notre intériorité, la part spirituelle qui nous habite, l’autre pratique, offrant des points d’appui concrets en vue de cultiver une écologie intérieure.

Dans un premier chapitre, il s’agit tout d’abord d’aller à la rencontre de l’humain : qui est-il lorsqu’il se trouve décrit non plus par les psychanalystes, sociologues et linguistes mais bien par des biologistes, des cognitivistes ou des cybernéticiens ? L’approche anthropologique s’avère de nos jours centrale car elle modèle conjointement le statut du thérapeute, les moyens mis en œuvre pour la guérison lorsque l’humain se trouve, de nos jours, réduit au fonctionnement de son cerveau et de ses gènes. De plus en plus modélisé par sa seule fonction cérébrale et neuronale, il s’approche de plus en plus de ce qui caractérise le robot et ouvre la voie royale à une approche transhumaniste de l’existence avec ses corrélats d’amélioration, de capacités nouvelles, etc. Or, pour l’auteur, ces catégories ne suffisent pas pour dire l’humain et, face à toute tentative réductionniste, il en propose une autre approche, celle de l’intériorité dont il traite dans un deuxième temps. Il montre en effet comment l’approche matérialiste réduit, dans sa perception, une plausibilité de l’intériorité dans sa composante corporelle et psychique. Or, cette dernière s’avère urgente et nécessaire à prendre en considération pour penser le rapport à la souffrance vécue, cette dernière sollicitant la prise en compte d’une autre dimension, celle de l’âme et des maladies pouvant l’affecter. En d’autres mots, il s’agit de rencontrer l’être profond de l’humain en vue de se situer d’une manière nouvelle dans un monde numérique, pressé qui n’est pas sans conséquences cliniques, générateur de souffrances dont la seule dimension psychique s’avère insuffisante pour en rendre compte avec nos mots, et donc pour la soulager : « la souffrance psychique manifeste une douleur sociale mais aussi spirituelle et anthropologique. » (p. 122). Dans le troisième chapitre, ayant acté les risques réductionnistes de l’humain, J.-G. Xerri propose une autre compréhension de l’humain, intrinsèquement corps-âme-esprit, s’efforçant d’en parler dans un langage accessible aux hommes d’aujourd’hui : comment l’âme peut-elle soutenir un état de santé mais aussi, dans ses dysfonctionnements, être à la source de pathologies « spirituelles » rarement diagnostiquées de nos jours. Pour ce, il se réfère à la pensée des Pères de l’Église qu’il parvient à rendre très actuels par de nombreuses citations qu’il met en perspective de l’analyse des deux premiers chapitres. L’enjeu de fond est de parvenir à se débarrasser de tout ce qui fait obstacle à l’amour de l’autre – voire de Dieu pour certain – et du prochain, sans tomber pour autant dans une spiritualité éthérée puisqu’il s’agit de répondre à une unique question : à quoi devons-nous naître pour être pleinement nous-mêmes, c’est-à-dire pour vivre en trois dimensions (3D), corps-esprit-âme ? Pour l’auteur, il s’agira de s’exercer à la santé, à l’image des Pères de l’Église : « … la santé de l’intériorité, autrement dit l’écologie intérieure, est … l’exercice naturel de ses trois puissances et de ces deux facultés : intelligence, désirs, force d’une part, imagination et mémoire d’autre part. La maladie est liée à une perturbation dans l’usage des facultés naturelles… » (p. 181). Cet exercice renvoie donc à une intelligence élargie, ouvrant au sens profond des choses ou de la vie ; donc, nulle obligation de transcendance ou de Dieu pour y parvenir, même si ces références peuvent teinter l’intuition de soi et du monde pour certains. Pour être concret et favoriser cette compréhension de soi et du monde, le chapitre quatre, toujours sur base de la pensée des Pères, propose une nosologie des maladies d’origine spirituelle, essentiellement dues aux pensées perturbatrices mettant à mal l’équilibre corps-âme-esprit. Il s’agira ensuite de connaître les moyens de restauration des déséquilibres noopsychiques, allant bien au-delà du référentiel psychosomatique contemporain. Il s’agit en effet de parler de troubles psychiques ou somato-psychiques d’origine spirituelle, ce que Xerri appelle les troubles noopsychiques classés en huit maladies liées à un mésusage de la pensée. Il est, de notre point de vue, intéressant de noter que ces maladies de l’âme ne se trouvent pas ici appréhendées dans le registre de la faute ou du péché mais bien comme des réalités à comprendre en tant que signes d’un certain dysfonctionnement des pensées. Le substrat anthropologique reste donc premier dans la pensée des Pères, registre de la vraie vie, concrète, donnant à rencontrer un humain complexe confronté à l’avidité, la vanité, l’acédie (perte de sens), le narcissisme ; manières si concrètes de se rapporter de nos jours au monde et d’évaluer sa propre existence sous le regard tronqué et trompeur d’autrui ! Dans un dernier chapitre, l’auteur cherche à montrer que cette approche patristique de l’humain n’est pas une vieille histoire dépassée. Proche de la pensée du « tout se tient » du pape François dans son encyclique Laudato si’, il montre comment l’intériorité s’avère un remède pour les maladies noopsychiques, mettant de la sorte en actualité « non religieuse » la pensée des Pères de l’Église. L’enjeu essentiel est de parvenir à reconnaître les pensées qui nous traversent – toujours issues d’une anthropologie et d’un rapport au monde tels que décrits dans les deux premiers chapitres – pour initier un processus de renaissance intérieure en reconnaissant les quatre maladies essentielles se traduisant de nos jours en addictions diverses dont la perte de sens et le repli sur soi s’avèrent peut-être les signes majeurs. Dès lors, comment vivre en 3D ? Il s’agit certes de le décider ! Diverses voies sont proposées : la méditation, un style de vie plus sobre renvoyant à une écologie intérieure permettant tous deux à un retour à soi, à l’humilité.

On l’aura compris, ce livre tout en étant classique, car inscrit dans une longue tradition d’intériorité et de vie spirituelle des Pères, se propose comme une nouveauté d’auto-compréhension pour l’homme contemporain. Et il l’est, pensons-nous, pour toutes celles et ceux qui ne possèdent plus aucune boîte à outils pour se penser eux-mêmes, pour comprendre ce qu’ils-elles vivent et tout ce qui les traversent. Alors que traversé par des souffrances au travail, dans la vie, dans son rapport à lui-même ou aux autres, l’humain se trouve trop souvent réduit à sa solitude qu’il ne peut plus habiter. Ici, des clés interprétatives et de « résolution » de son mal-être se trouvent offertes. C’est certainement ce que poursuivent les intermèdes « d’introspection » proposés à l’issue de chaque chapitre, même s’ils mériteraient, de notre point de vue, d’être déployés dans une dynamique davantage collective. Mais sans doute faut-il d’abord passer par soi avant de risquer l’ouverture à l’autre. Dans un contexte de société où le « spirituel » se trouve mis en avant dans des modalités si diverses – le meilleur et le pire – cet ouvrage ouvre « au meilleur », celui qui nous vient d’une pensée multiséculaire largement expérimentée et revisitée ici dans une approche séculière, que ce soit au niveau du langage ou de ses conditions de possibilité. La question restera cependant celle de la réception par les femmes et les hommes d’aujourd’hui d’une pensée qui, même mise à jour dans le langage et des comparaisons actualisées, restent inscrites dans une tradition particulière, ici très certainement revalorisée.


Dominique Jacquemin

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