Recension 5

SÉSAME ASBL - Société, spiritualité, éthique, santé mentale

Elisabeth Emily, Autiste ? Pour nous l’essentiel est invisible, Paris, Dunod, dans Revue d’Ethique et de Théologie Morale, n°273, p. 114-115.

 

Ce livre est d’abord le témoignage d’une maman d’enfant autiste de haut niveau, Louis, et qui est par ailleurs travailleur social. Parler de témoignage est juste car le livre convie à percevoir l’évolution intérieure et sociale, avec son questionnement, ses appels et ses révoltes, d’une maman dans la reconnaissance et la nomination progressive de ce dont son enfant est porteur, le syndrome d’Asperger. Mais le terme s’avère également trop faible puisque cet ouvrage constitue un plaidoyer social, éducatif et médical pour une reconnaissance de l’autisme et un juste accompagnement, tant de l’enfant atteint que de son entourage.

 

A travers ces pages, Elisabeth Emily se livre dans son amour et son combat de mère pour que son enfant puisse être reconnu et estimé pour ce qu’il est, un enfant « mystérieux », échappant à nos logiques et représentations, porteur d’une maladie : l’autisme. Son récit est d’abord celui d’un combat : passer de ce qui est intuitivement ressenti par des parents à une juste nomination, celui d’une « maladie », ou plutôt une manière autre de se rapporter à soi, aux autres et au monde, permettant de ne plus penser l’enfant comme un « anormal », un être asocial et dangereux. Pour y parvenir, elle et son époux ont du passer par les fourches caudines des psychologues, des évaluations pédagogiques et par le regard plus ou moins bienveillant d’équipes pédagogiques et éducatives. Or, tant qu’un diagnostic n’est pas posé, personne ne peut reconnaître et soutenir l’enfant, personne ne peut mettre en œuvre des moyens éducatifs pour le soutenir, l’éveiller à lui-même et lui permettre un rapport plus ajusté aux autres qui, en même temps, le respecte dans son propre chemin. Tant que ce diagnostic n’est pas posé, au risque même de « l’étiquette », les parents, pourtant inventifs et aimants, risquent de se vivre comme de mauvais parents, coupables de ne pas parvenir à éduquer un enfant pour qu’il soit « comme tout le monde ». A travers des pages d’une grande délicatesse, l’auteure se livre et permet, progressivement, de mieux faire comprendre le sens, la dynamique d’un comportement certes trop différent mais pourtant porteur d’une certaine cohérence pour l’enfant, cohérence trop généralement invisible à nos yeux, mais traduisant en même temps l’incohérence, le non ajustement de nos propres regards et comportements.

 

De la sorte, tout en faisant mieux comprendre de l’intérieur ce que signifie aimer et faire grandir un enfant autiste, cet ouvrage pose bon nombre de questions éthiques. Tout d’abord, il interroge le désastre auquel peut conduire la non reconnaissance précoce de la maladie, avec ses répercussions familiales et sociales : tant que le diagnostic n’est pas posé, l’enfant n’est pas vu, reconnu et aimé pour ce qu’il est, même si les parents le pressentent. Il ne s’agit pas de plaider ici pour une nomination réductrice de l’enfant mais bien pour une qualification permettant de le comprendre et de lui offrir un environnement adapté à son propre développement social. L’autre question radicale posée par ce livre relève du statut de la médicalisation psychiatrique de l’enfant visant à traiter l’abrasion des signes et des comportements dérangeants plutôt que d’accompagner l’enfant au cœur de ce qui tisse son identité. Enfin, l’autre question éthique majeure réside dans le non diagnostic précoce avec ses dimensions culpabilisantes et de jugement social pour les parents qui, par ailleurs, s’efforcent de déployer, dans une grande solitude, ce qu’il y a de meilleur pour leur enfant.

 

On ne peut donc que conseiller ce livre riche, au ton juste, à celles et ceux qui, aujourd’hui, se trouvent confrontés à l’autisme : les parents qui y trouveront certes du réconfort mais également des points de ressourcement pour le quotidien, les éducateurs et enseignants, mais également le politique et le monde de l’administration qui pourront y mesurer l’urgence et l’importance de leur propre engagement.

 

Kuberski Piotr, Le christianisme et la crémation, Paris, Cerf, 2012, dans Revue d’Histoire Ecclésiastique, n°1-2, 2013, p. 362-363.

 

Allant bien au-delà de son titre, l’ouvrage offre un panorama d’une tension toujours à l’œuvre entre crémation et inhumation, certes dans les frontières du christianisme, mais bien plus largement dans une perspective historique allant de l’antiquité à nos jours, passant par le monde romain, le monde biblique, le christianisme antique, le moyen-âge et certains auteurs de la littérature utopiste. Chaque partie de l’ouvrage se termine par une conclusion très pédagogique, reprenant les principaux points d’appui d’une pensée toujours complexe et nuancée développée par Piotr Kuberski.

Ce livre est d’abord un livre d’historien à travers une minutieuse approche des sources écrites et archéologiques dont l’abondance des notices bibliographiques atteste d’une patiente étude. L’auteur fait voyager à travers l’histoire, sans cloisonnement puisque les différentes parties du livre sont structurées par de permanents renvois qui, s’ils peuvent parfois surprendre et dérouter, permettent au lecteur de ne pas sombrer dans la facilité d’un « pour ou contre » la crémation. Ce premier niveau d’intérêt de l’ouvrage est d’ouvrir conjointement à un panorama des religions à travers les siècles.

Il est aussi œuvre dogmatique dans la mesure où la crémation, toujours mise en tension avec l’inhumation -faussement appréhendée comme ce qu’aurait voulu le Christ-, se révèle en même temps une question théologique puisque, à travers son développement ou les interdictions qui l’ont frappée -dans l’Eglise catholique jusqu’au 5 juillet 1963-, c’est bien le lien à l’eschatologie, à la résurrection et à une certaine anthropologie du corps qui se trouve régulièrement posé.

 

Ce remarquable parcours à travers l’histoire décloisonne la seule question dogmatique pour faire pressentir au lecteur qu’il s’agit également toujours d’une problématique culturelle. La crémation s’inscrit sans cesse dans des mentalités collectives à un moment donné de l’histoire, pouvant tout à la fois honorer ou blâmer un défunt et ses proches. Et tout cela, sans parler des plus récents débats relatifs à l’hygiénisme, masquant parfois une pensée de la rationalité ayant été longtemps perçue comme opposée à l’Eglise.

 

On le pressent, cet ouvrage ouvre dès lors, à travers une thématique précise, à la question plus large de la manière dont l’Eglise catholique s’est positionnée à l’égard du monde, et réciproquement, en « instrumentalisant » d’une certaine façon la question du devenir des corps après le décès. Si la position de l’Eglise s’est clarifiée, le débat n’est pas clos, que ce soit dans ses dimensions psychologiques, symboliques et rituelles comme en atteste le dernier chapitre ouvrant aux questions contemporaines toujours en débat.

 

Ce livre constitue de la sorte un très riche état de la question, faisant éclater les aprioris de toutes sortes, maintenant ouverte la complexité d’une pratique funéraire qu’on voudrait « propre », centrée sur la singularité du sujet contemporain. De dimension encyclopédique, ce livre constitue un véritable outil de travail pour celles et ceux qui chercheront à se pencher sérieusement sur cette pratique complexe, aidés par une abondante bibliographie (800 titres) et un précieux indexe thanatologique et scripturaire.

 

Norbert Campagna, La sexualité des handicapés. Faut-il seulement la tolérer ou aussi l’accompagner, Genève, Labor et Fides, 2012, dans Revue théologique de Louvain, n°4, 2013, p. 617.

 

Professeur de philosophie, c’est à un parcours de contextualisation éthique que convie l’auteur, sans volonté de donner des réponses définitives aux questions posées. Ces dernières sont essentiellement de deux ordres. Quelle conception de la sexualité des personnes handicapées se trouve agie en nos sociétés, particulièrement en termes de reconnaissance d’un droit fondamental de pouvoir l’exercer, pour autant qu’aucun tord ne soit causé à autrui ? La prise au sérieux de ce droit n’est pas sans poser questions quant à la prise en charge et à l’accompagnement de la personne, particulièrement si elle se trouve en institution. L’autre typologie de questionnement cherche à rencontrer la situation des personnes atteintes d’un handicap dans l’exercice de leur sexualité, qu’il soit physique (infertilité, stérilité…), psychique (incapacité) ou de nature plus sociale (homosexualité). Ici, il est question de s’interroger sur la compréhension même du terme de handicap qui, s’il est une « maladie » devrait conduire, dans une société démocratique, à une prise en charge par l’état et à un remboursement des prestations médicales à son propos. Or, il est manifeste que toute situation de handicap ne peut entrer dans cette typologie.

 

C’est à propos de cette même question que l’auteur envisage, avec beaucoup de nuances et sans vraiment apporter de réponse, la difficile question de l’accompagnement érotique et sexuel : renvoie-t-il à la prise en charge d’une « maladie », d’une incapacité à exercer par soi-même sa sexualité ou à la seule notion d’épanouissement de la personne appréhendée en termes de droit. Selon la représentation et certains mythes inhérents à la notion même de handicap les réponses s’avèreront différentes, que ce soit dans son évaluation morale ou dans la prise en charge financière par les personnes concernées.

Cet ouvrage d’un style très agréable, clair et renvoyant à bon nombre de situations concrètes est un premier outil pour penser l’ensemble des problématiques de la sexualité des personnes handicapées ; un ouvrage intéressant à portée générale dont on pourrait regretter que les deux typologies de questions soulevées nuisent à la question plus singulière de l’exercice de la sexualité par et avec la personne handicapée mentale en institution.

 

Anne Fornerod (éd.), Assistance spirituelle dans les services publics. Situation française et éclairages européens, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2012, dans Revue théologique de Louvain, n°4, 2013, p. 618-619.

 

Cet ouvrage collectif s’offre bien à propos à la lecture à une époque où, de plus en plus, on s’interroge non seulement sur le statut du religieux au cœur de la société mais où, paradoxalement, les grandes religions se trouvent régulièrement sollicitées par les Etats, non en termes de gouvernance certes, mais comme point d’appui à une certaine perception et « reconquête » de valeurs communes. Un ensemble large de contributions nous proposent trois lieux où se pose l’articulation entre religion et société : l’hôpital, l’enseignement public secondaire et les universités et ce, dans un contexte particulier, celui de la France conservant l’image d’un pays laïque, faisant preuve d’une tolérance moindre que d’autres pays européens. On trouve dans cet ouvrage d’abondantes références en termes de législations et de règlementations administratives en ce qui concerne les trois champs d’application de la problématique, même si, comme cela est souvent rappelé par les différents auteurs, il est question d’apprécier un certain décalage entre les textes officiels de régulation de la question religieuse et la réalité.

 

D’une manière générale, les contributions envisagent comment se trouve mise en œuvre en trois lieux l’assistance spirituelle due aux « usagers contraints de rester dans un lieu de service public et qui ne peuvent en conséquence accéder aux célébrations religieuses dans les lieux qui leur sont habituellement consacrés. » (p. 5). Car tel est bien, historiquement l’enjeu de fond, préserver et organiser une liberté fondamentale, celle de pratiquer sa religion lorsque les conditions d’existence en empêchent ; ceci restant partiellement vrai pour les hôpitaux, nettement moins pour les lieux d’enseignement, si ce n’est dans la perspective des anciennes structures d’internats scolaires. Tel est bien le cadre général de la loi telle que prescrite par la loi de Séparation de 1905 organisant la présence des cultes dans les services publics.

 

Même si les conditions d’hospitalisation ont évidemment changés ces dernières années, particulièrement en ce qui concerne les durées de séjour, l’assistance spirituelle reste un droit garanti, même s’il se trouve mis en œuvre de manière diverses, personnes-dépendant que ce soit du côté de l’administration ou des responsables du culte ; il repose sur un principe fondamental, celui de la liberté religieuse dans un état laïque. La référence à cette double dimension -droit et respect de l’Etat laïque- implique des devoirs de la part des institutions hospitalières, tout comme de la part des aumôneries tenues à respecter certaines limites. Les différentes contributions en offrent des exemples assez significatifs, même s’ils s’inscrivent dans des expériences singulières, locales. En ce qui concerne les structures hospitalières, on notera également l’intéressant questionnement ouvert à propos des professionnels de la santé : quelle est leur responsabilité, et selon quelles limites au regard des aumôneries, en ce qui concerne cette dimension religieuse de l’existence considérée comme un droit relevant de la liberté de tout patient en lien avec son entourage ? On retiendra quelques interrogations suggestives ayant trait au respect des rites religieux, surtout si ces derniers attestent, dans l’attention qui leu est portée, de la dignité reconnue à toute personne hospitalisée et d’une attention aux dimensions du deuil que devront vivre les familles confrontées au décès de leur proche.

En ce qui concerne l’enseignement public secondaire, les différents articles s’intéressent surtout à la distinction qu’il importe d’établir entre l’approche pastorale, dogmatique du religieux et l’enseignement du fait religieux ; d’où l’importance de distinguer enseignement et aumôneries, n’ayant pas, du moins en France, à s’immiscer dans le lieu de la scolarité. C’est essentiellement sur cette distinction ainsi que sur l’importance reconnue à l’autorité parentale pouvant solliciter la présence d’une aumônerie, au nom du respect de la liberté religieuse, que les divers auteurs envisagent comment, concrètement, cela se vit dans une certaine paix ou de relatives tensions en termes de modalités de présence, d’organisation pour les grandes religions (catholiques, protestantes, juives) en régime français de laïcité.

 

Le plus intéressant, parce que le plus original de notre point de vue, est ce que l’ouvrage apporte en ce qui concerne la place de l’aumônerie, et plus largement du religieux, dans le cadre des universités. Il décrit d’abord ce qui se fait : le cadre juridique français, comparé à d’autres pays moins marqués par la laïcité, la manière dont l’aumônerie peut ou non y prendre place. Mais c’est surtout la place de l’enseignement du religieux qui se trouve interrogée : la théologie dans sa dimension dogmatique ou une culture du fait religieux (débat qui n’est pas exempt dans certaines facultés de théologie). Cette tension y apparaît paradoxale au regard de ce qui est par ailleurs affirmé : une liberté académique trouvant d’autant plus sa légitimité que les étudiants universitaires sont, a priori, à même à cet âge d’exercer leur propre liberté de jugement.

 

Au-delà de la description de la problématique en ses trois lieux (hôpital, enseignement secondaire public et université), la contribution ouvre à d’importantes questions qui dépassent largement leur lieu précis d’inscription ; nous aimerions rendre compte de certaines nous ayant particulièrement interpelé. Tout d’abord, il est question de se demander quelle peut être de nos jours la visibilité du religieux dans l’espace public lorsqu’elle se trouve mise en tension, du moins en France, entre liberté religieuse et interdiction d’un financement public alors que l’Etat cherche de plus en plus à s’appuyer sur les valeurs religieuses, fussent-elles laïcisées ; qu’il suffise de penser ici aux récentes analyses de Jean-Marc Ferry et de Philippe Némo. Au regard d’une volonté de reléguer les croyances dans la sphère individuelle et privée, des interférences existent bel et bien, posant la responsabilité de l’Etat à l’égard du fait religieux. Un autre grand intérêt de certaines contributions est de mettre au jour les mutations traversant cette problématique. Le premier passage donnant à réfléchir est celui de la dimension cultuelle à un accompagnement spirituel, humain qui n’est plus en correspondance avec les anciennes législations, posant la question du mandat et de la rémunération des personnes. L’autre mérite encore davantage à être réfléchi : le passage d’un mandat ecclésial à un mandat civil, à l’image de ce que connaît le Québec, avec toutes les craintes qui peuvent lui être associées, celle de la perte d’un « contenu » religieux, quand ce ne sont pas des questions de pouvoir. On mentionnera enfin deux autres questions particulièrement d’actualité : celle de la place conférée à l’Islam, handicapé par une absence d’instance officielle à même de le représenter et d’être garante des nominations des ministres du culte, objet de crainte quant à la signification de sa présence dans les instances publiques, entre enseignement religieux et volonté d’endoctrinement. Si le risque peut être réel, n’est-il pas également important, dans une visée d’intégration, qu’un enseignement de l’Islam puisse être accessible aux non musulmans afin de battre en brèche certaines représentations indues ? Enfin, nous retiendrons les intéressantes questions relatives au financement de l’enseignement religieux, particulièrement à l’université : si l’État n’a pas à financer un enseignement religieux à dimension dogmatique, il importe en même temps que des clercs puissent suivre un enseignement de niveau universitaire où la dimension théologique ne devrait pas être absente, quelle que soit d’ailleurs la religion.

 

Si cet ouvrage est d’abord de nature informative et descriptive, on soulignera sa richesse en termes de repères législatifs et administratifs certes français mais largement documenté d’un point de vue européen. Il indique finement combien les législations ont, d’une manière générale, tendance à accompagner les mutations sociales et religieuses, prenant acte d’un certain pluralisme même si, à l’échelle européenne, ce dernier ne semble pas pris en compte de manière identique dans tous les pays. Enfin, ce recueil de contributions très diverses, n’est pas sans poser la question fondamentale, celle de la responsabilité qui incombe à l’Etat d’assurer la liberté de conscience, l’amenant de la sorte à ne pas se désintéresser du religieux considéré, a minima, comme un fait social.

 

Marc Desmet, Ria Grommen, L’autonomie en question. Approches psychologiques et spirituelles, Bruxelles, Lessius, 2012, dans Les Cahiers francophones de soins palliatifs, vol. 13, n°2, p. 132-133.

 

Si cet ouvrage puise sa source, bien plus que son inspiration, dans le récent ouvrage d’Alain Ehrenberg « La fatigue d’être soi », il nous conduit bien plus loin puisque du diagnostic clinique, médical de « la dépression », il nous ouvre à un large parcours réflexif social, psychologique et spirituel.

En effet, prenant acte de la légitime volonté d’autonomie de l’homme contemporain préoccupé de sa liberté, les auteurs montrent combien il se trouve de plus en plus en situation de « devoir décider », et ce pour toutes les dimensions de son existence. Cet exercice, devenu tout autant une exigence sociale, se vit généralement dans une solitude de plus en plus grande, source de mal-être qu’une approche simpliste tendrait à qualifier de « dépression ». Sans négliger cette possible dimension, les auteurs conduisent à une problématique sous-jacente, plus importante à nos yeux : n’est-ce pas cette légitime requête d’autonomie qu’il s’agirait de devoir questionner dans ses possibles excès ?

 

C’est ce qui amène les auteurs à préférer le concept d’autodétermination en relation. Les auteurs cherchent à faire comprendre que « nous ne pourrons véritablement comprendre le sens de la vie -et cela ne veut pas dire qu’il faut s’arrêter au sens de notre propre vie- que lorsque nous prendrons conscience d’être un maillon dans une chaîne de personnes liées entre elles, dans un ensemble. (…) On peut dire que la relation est le fruit d’une authentique autodétermination et qu’en ce sens, elle s’avère donc aussi un critère. Il convient dès lors de se poser la question suivante : dans quelle mesure mon autodétermination me permet-elle de réaliser que je peux vivre en relation avec autrui ? » (p. 112). On pressent l’enjeu de la proposition : l’autonomie du sujet, malade ou non, ne peut être porteuse de son autodétermination que si elle se trouve réellement mise en relation avec, comme le disent les auteurs, tout ce qui tisse et dit la subjectivité profonde de l’humain, en relation avec le corps, les autres, la société, le monde des pauvres, de même qu’avec un horizon ultime, celui qui dit le sens d’une existence singulière.

 

S’il est question de maximaliser sans cesse l’autonomie du patient, de lui reconnaître une capacité d’autodétermination, c’est bien d’une autonomie non déliée, relationnelle, qu’il est question d’entendre, de décrypter parfois et d’accompagner. Et ceci est important à plus d’un titre. Tout d’abord, cette visée de l’autonomie permet d’entrer dans une mutuelle compréhension de la demande du patient cherchant à mesurer ensemble la visée dont elle est porteuse ; c’est tout l’enjeu d’une contextualisation de la demande de soin, surtout lorsqu’elle engage les grandes dimensions de l’existence, de la naissance à la fin de vie, afin d’appréhender au mieux ce qu’elle revêt comme sens au niveau de sa demande individuelle, mais également au cœur d’un système de santé et de ses contraintes. C’est ce type de développement que nous propose la deuxième partie du livre en mettant en relation les conséquences induites par le recours à la seule autonomie ou à l’autodétermination en relation pour penser la demande d’euthanasie. Le lecteur trouvera également une manière identique de questionner le rapport aujourd’hui instauré avec la famille au sens large.

 

En un mot, ce livre est réellement à lire, tant pour le parcours conceptuel que clinique qu’il nous propose. Il s’agit d’une pensée où, tant le médecin que la psychothérapeute, permettent au lecteur d’entrer conjointement dans leur pensée respective tout en même temps que la lecture permet sans cesse de se penser en lien avec autrui. Je dirais volontiers que c’est « le livre qui manquait » pour celles et ceux qui, préoccupés de relire une pratique professionnelle, soignante, pastorale, sont également enclins à nourrir ce qui, d’eux, sous-tend cette même pratique.

 

Notice bibliographique de Bernard Ars, Fragilité, dis-nous ta grandeur, Paris, Cerf, 2013, dans Revue d’éthique et de théologie morale, n°278, 2014, p. 105-106.

 

Comme tout ouvrage collectif, le parcours réflexif proposé possède ses avantages et ses inconvénients. Les inconvénients d’abord : un ensemble de contributions manquant parfois d’unité, porteur de répétitions et ouvrant à un champ sémantique étendu de la fragilité allant de l’expérience vécue, à la fragilisation, voire la vulnérabilité. L’avantage réside quant à lui dans l’importance du contexte où la problématique de l’expérience fragile, comme interrogation anthropologique transversale, se trouve déployée. Comment, au cœur de domaines aussi différents que la biologie, la paléontologie, l’économie, la santé, l’écologie, les techniques se pose de nos jours l’appel à questionner tant de logiques de maîtrise de l’existence empêchant la rencontre et la reconnaissance de la fragilité comme le lieu de ce qui constitue et caractérise l’humain ?

 

Dès sa naissance, dans la sollicitation faite à l’autre de le maintenir dans l’existence, l’humain atteste d’une fragilité constitutive. On peut également la découvrir au cœur du processus d’hominisation et des découvertes archéologiques attestant de la capacité des peuples primitifs à prendre soin du plus fragile handicapé. Le statut conféré de nos jours à la technique, à la robotique montre l’inventivité humaine pour soutenir la fragilité (du corps malade, des conditions d’existence difficiles, du handicap), même s’il fait courir le risque d’une instrumentalisation possible de l’humain, au risque du désinvestissement lorsque la technè s’avère indisponible. Un constat semblable peut être posé lorsqu’on considère le développement des capacités thérapeutiques même si une certaine médecine a perdu cette dimension d’empathie pour le plus faible. Un dernière exemple, même si l’ouvrage en foisonne de bien d’autres, peut être donné par la mondialisation, tant des techniques que de l’économie : tout humain fait l’expérience d’une fragilité constitutive tant ce qui structure son être au monde est le lieu de la dé-maîtrise, à l’égard des processus décisionnels, des logiques financières, des ressources disponibles, etc. En un mot, les auteurs sensibilisent à cette dimension de la fragilité caractérisant, de tous temps, l’être humain.

 

L’ouvrage ne se contente pas de réaffirmer ce constat comme appel anthropologique à travers une multitude d’expressions et de modalités d’existence de la fragilité, il ouvre également de très pertinentes questions éthiques. Quel sens et quelle fécondité peut aujourd’hui revêtir la fragilité, moyennant quelles conversions tant du regard que des modes de vie ? Si, paradoxalement, la fragilité n’est pas la négation de l’identité humaine exerçant sa propre maîtrise, quelles transformations sociales, économiques, politiques et sanitaires requière-t-elle dans sa rencontre et sa prise au sérieux ? En effet, penser la fragilité ne peut se réduire à l’évocation de nobles sentiments. Cela nécessite de contextualiser la manière dont nous nous rapportons au monde pour nous penser nous-mêmes, ce à quoi les diverses contributions ouvrent réellement. Enfin, on retrouvera un souci permanent à l’ensemble des textes : comment être juste à l’égard de la fragilité si, en même temps qu’il importe d’en dire la grandeur, il n’est pas question de la magnifier car elle invite conjointement à la lutte et au combat pour la réduire autant que faire se peut. Toutes ses questions mériteraient également des prolongements théologiques peu abordés dans l’ouvrage même si la question de l’homme fragile face à Dieu, de la fragilité-impuissance de Dieu, du salut et de la création se trouve évoquée en prolongement de certaines analyses.

 

Marie-Jo Thiel, Au nom de la dignité de l’être humain, Montrouge, Bayard, 2013, dans Revue théologique de Louvain, n°4, 2014, p. 631.

 

À travers un recueil d’articles mis en perspective, le livre devient un petit précis relatif au concept de dignité. Il en montre l’usage ambivalent, voire idéologique en nos sociétés, particulièrement au prisme des techniques biomédicales. D’une manière très précise, l’auteure donne du concept de dignité les repères philosophiques et théologiques. On notera également l’intérêt du dernier chapitre offrant les principaux points de repères éthiques pour vivre la dignité de fils de Dieu, allant de la gradualité morale à l’épikie. En ce sens, ce petit livre est à conseiller comme ouvrage de première intention pour celles et ceux qui veulent appréhender la richesse historique et les difficultés de mise en œuvre du concept de « dignité ».

 

Marie-Jo Thiel, Faites que je meure vivant. Mourir, vieillir, vivre, Montrouge, Bayard, 2013, dans Revue théolgoique de Louvain, n°4, 2014, p. 631-632.

 

Face au défi du vieillissement dans nos sociétés, l’ouvrage proposé par Marie-Jo Thiel, médecin et théologienne bien connue, tient ses promesses. À travers la reprise actualisée d’articles, le lecteur trouvera un parcours de contextualisation de la problématique du vieillissement : enjeux démographiques, vieillir au cœur de nos sociétés, assumer l’altération de la vie pour soi et avec autrui, choix politiques autour de la maladie d’Alzheimer. Les deux derniers chapitres, davantage décalés de la problématique du vieillissement, traitent cependant de questions importantes pour le théologien : l’expérience de la souffrance et l’accompagnement qui peut y être offert. Ce livre est un bon outil pour une première découverte des enjeux inhérents au respect des personnes grandissant en âge et ce à quoi elles peuvent légitimement aspirer.

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